Je ne peux pas en parler à n’importe qui

Assise à ses côtés sur le canapé, Joséphine se confie à son mari :

  • Vraiment, Eric, on ne s’en sort pas. Je vois bien que tu es malheureux, même si tu ne le dis pas, et moi ça me rend malade. Tu devrais en parler à Untel, on le connaît bien, tu peux lui faire confiance…
  • Tu dramatises ! Non, ça va je t’assure, il nous faut juste un peu de temps pour faire face. Et puis, justement, lui on le connaît, ça me gêne de lui confier nos difficultés.
  • Tu vois, c’est ce que je disais.

Elle se tourne vers lui, et le regarde, exaspérée :

  • Tu minimises le problème, tu mets la tête dans le sable. Exactement ce qu’Hélène vit avec son mari.
  • Parce que tu en as parlé à Hélène ?
  • Je ne lui ai pas tout dit, mais Hélène est ma meilleure amie, et ça me fait du bien de trouver quelqu’un à qui parler. Tu peux lui faire confiance, elle ne racontera rien, et surtout pas à son mari !
  • Encore heureux ! Mais je n’ai pas envie d’étaler notre vie sur la place publique, ni même auprès de nos amis.
  • Et moi je ne peux pas rester sans rien faire, seule à chercher des solutions. Je t’avais proposé de faire appel à un professionnel.
  • J’en ai cherché, mais comment en trouver un qui soit vraiment fiable ?
  • Evidemment, ceux en qui on peut avoir confiance, c’est souvent par relation, alors tu trouves qu’on les connaît trop bien.

Eric et Joséphine sont visiblement dans une impasse. Pourquoi est-il si difficile pour Eric de franchir le pas pour se faire aider ? Il faut reconnaître qu’une femme va plus facilement confier ses difficultés à ses amies, en parler pour chercher des solutions, pour se faire aider. D’ailleurs, le public féminin représente 70% des consultations de psychothérapie (source INSEE).

Pour un homme c’est plus compliqué. Demander de l’aide, exposer ses difficultés, peut être perçu comme un indice d’incompétence, d’incapacité à gérer ses problèmes. De quoi aura-t-il l’air si on l’apprend ? Il peut chercher la solution dans le rationnel, plutôt que le relationnel, dans la logique plutôt que les émotions, domaine trop subjectif, incertain, qui court le risque de l’aveugler, voire de le déborder. Mais le rationnel est souvent impuissant à résoudre le relationnel, et la logique n’apporte pas de réponse aux émotions suscitées par la relation. Alors il est plus facile de s’en protéger, de les enfermer, de les garder pour soi jusqu’à ce qu’on trouve enfin la solution qui nous redonnera la maîtrise de la situation.

Mais là, Eric sent bien que la situation lui échappe face à Joséphine. Il est momentanément sauvé par son téléphone portable : C’est Fabrice, le mari d’Hélène ! Sa voiture est en panne, et il voudrait qu’Eric l’aide à la remorquer chez le garagiste. Il faut dire qu’il économise sur l’assurance et n’a pas souscrit d’assistance 0km. Et puis les amis sont là pour ça ! Eric en profite donc pour s’échapper.

Sur le chemin du retour, Fabrice raconte avec Eric ses déboires. Au début, il avait commencé à entendre un bruit anormal quand il roulait. Cela l’inquiétait, mais il était encore plus inquiet de faire face à une grosse réparation s’il confiait sa voiture au garagiste. Alors pendant un temps, il a fait la sourde oreille, se persuadant que le bruit était anodin. Et puis comme ça durait, il a essayé de comprendre, en ouvrant le capot pour essayer d’écouter d’où ça venait. Mais comme il ne voyait rien d’anormal il se dit que ce n’était pas si grave. Et finalement, comme c’était de pire en pire, il a hésité à prendre rendez-vous, craignant les reproches du garagiste de ne pas avoir agi plus tôt. Et ce matin, au moment de partir, le moteur a calé brusquement dans un bruit inquiétant, et impossible de le redémarrer. Le garagiste a diagnostiqué que le moteur était probablement mort. Quelle tuile !

Rentrant chez lui après avoir raccompagné Fabrice, Eric se fit la réflexion que c’était tout de même stupide d’en arriver là par peur d’en parler au garagiste. Et soudain, voyant la tête que faisait Joséphine, il réalisa qu’elle était peut-être en train de péter une durite …